Ce texte fut offert à ma mère en 1990. Pour la fête des Mères, il est maintenant offert aux femmes qui ont forgé le Québec, qu’elles soient de descendances européennes, autochtones, asiatiques, africaines, etc.
Je songe à ma mère, on la disait prisonnière. Vous devinerez bien pourquoi : onze enfants, un par an. À la ville comme à la campagne, il a fallu les nourrir, puis les vêtir. Débrouillarde, elle travaille « à plein temps ». Elle n’a connu ni le chômage ni l’angoisse de se choisir un métier.
Les enfants lui fournissent sans cesse tout ce qui est nécessaire pour qu’elle ignore l’ennui. Du lever au coucher, du coucher au lever, elle a toujours à faire. Journées qui se répètent. Années qui se suivent.
Elle a sûrement ses moments de doute, des révoltes, des fatigues, personne ne le sait… Je la vois soumise. Elle fait de son mieux, elle donne ce qu’elle a reçu, honnêtement. Quelques prières la rassurent. C’est sa nourriture pour affronter le quotidien, toujours à recommencer : déjeuner, dîner, souper; ménage, lavage, repassage; infirmière, couturière, jardinière. Cent métiers, une profession : mère. On la disait prisonnière.
Travail exigeant à la ferme. Photo : Gracieuseté.
Et puis, tout craque soudainement. L’homme qu’elle aime la laisse seule avec ses onze enfants. Elle relève la tête, mais ses épaules sont un peu plus courbées. Elle n’a pas le temps de pleurer ou de se lamenter. Nous déménageons au village.
Par nécessité, elle va travailler. Elle n’avait pas voulu l'émancipation, mais elle devenait le seul soutien familial avec encore sept enfants à élever. La voilà vendeuse dans un magasin général, six jours sur sept. Nous restons seuls à la maison. Libérée vous croyez ? Pas vraiment, elle travaille doublement. Chacun donne un coup de main comme il peut. Une nouvelle routine s’installe. Pour boucler son budget, elle rapporte du travail à la maison. Je la vois prisonnière.
Au Québec, nous vivons « la Révolution tranquille » : les polyvalentes, Expo 67, la santé pour tous. Des hommes marchent sur la lune.
La famille éclate et des femmes quittent la maison. Les enfants sont déchirés. Je ne veux surtout pas être comme ma mère et passer ma vie à laver ou torcher les petits. J’ai de l’ambition. Alors que vais-je faire dans la vie, pour m’émanciper ? On me conseille d’aller à l’université. J’aurai un emploi valorisant et satisfaisant. Nous devions être des femmes libérées, nous les filles de nos mères. Nous sommes instruites, intelligentes et capables. Nous cherchons partout. Il n’y a pas de limites, sauf celles qu’on se fixe.
À l’université, le destin me présente un homme auquel je m’unirai. Le vrai travail commence à l’intérieur, en moi. Pour l’attirer, je lui ai donné un enfant. Pour le garder, j’ai enfanté de nouveau, puis une troisième et une quatrième fois, tous des garçons. Soumission. Je ne suis pas capable de lui dire non. On me dit prisonnière.
Telle mère, telle fille. Une famille nombreuse. Photo : Gracieuseté.
Qui me libérera ? Est-ce ces femmes qui militent pour des garderies et de meilleures conditions de travail ? Je ne me sens pas vraiment concernée. L’allaitement, les biberons, les couches, voilà mon quotidien. Ménage, lavage, repassage. Couturière, cuisinière, infirmière. Déjeuner, dîner, souper… Je me sens prisonnière.
Pour endurer l’ordinaire, il n’y a plus de prière, ni de messe, ni de communion. Il n’y a même plus l’appui des autres femmes, car elles sont trop occupées, ces « superwomen ». Il ne reste que l’isolement, les nuits sans sommeil et le travail à volonté. L’ennui ? Je ne connais pas, c’est au moins ça. Je me sens utile à quelqu’un, quatre petits qui me sourient, qui m’appellent « maman ». Je me surprends… à aimer ça ! Je me crois indispensable. Comment font les femmes pour laisser leur bébé lorsqu’elles vont travailler ailleurs ? Comme elles sont fortes.
Finalement, mon cinquième enfant est né. C’est une première fille toute belle. Je ne l’espérais plus. J’avais maintenant une complice avec moi. Je serais soutenue dans ma vie. Puis, je m’offre un dernier enfant, une sœur pour ma fille, mon bébé gâté, ma deuxième fille. Je suis comblée. Après, j’ai dit non ! Décider de subir la ligature m’a fait mal. Avais-je pris la bonne décision ? La maternité ne s’arrête pas à volonté. Il faut bien continuer. Pour me rapprocher de toi « moman », j’ai bien voulu être une prisonnière éphémère.
Femmes et mères, nous avons reçu un don, le don de soi. Merci ! À toutes les mères qui ont forgé le Québec.
Article paru dans le journal Ensemble pour bâtir, mai 2021.
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