Ils sont partis pour la plupart du Témiscamingue, des paroisses de Guigues, Guérin et Nédelec. Fils de fondateurs, ils ont décidé tout comme leurs pères d’imposer marche-arrière à la forêt afin de se faire une place au soleil.
Sous l’égide sûre et éclairée d’un Louis-Charles Coté, curé-fondateur d’une nouvelle paroisse dans le canton Beauchastel, nos vaillants pionniers s’engagent à plein feu dans l’identification d’un nouveau royaume. Venant de La Tuque, cet homme de Dieu connaît bien ces manieurs de hache à la voix haute et aux nerfs d’acier. Mais ici il trouvera mieux. Ce sont des fils de pionniers qui à leur tour veulent bâtir pour rester.
Et, du matin au soir, on n’entend plus que le bruit des haches, le ronron des godendards ou des sciottes et les géants tombent dans un grand fracas écrasant tout sur leur passage et brisant les branches de leurs voisins. Il faut que tout cède devant ces nains bien décidés à faire place nette.
Ils font de la terre! C’est une forte expression des défricheurs, qui veulent vaincre la forêt et changer la pauvreté des bois sauvages pour la fertilité des champs labourés et semés. Et déjà, l’année suivante, on a vu le blé, l’avoine et l’orge dresser leurs fières têtes dans ces clairières où l’on voit encore les taches noires faites par les grosses souches calcinées et têtues que les défricheurs n’ont pu vaincre.
Et avec quel orgueil ces colons montrent à leurs voisins, à leur curé ou à la visite, ce produit de leur labeur, ce domaine qui est bien le leur; ils ne l’ont pas acheté, ils l’ont fait de toute pièce, pas un pouce de terrain qu’ils n’ont foulé de leurs pieds et engraissé de leurs sueurs.
Et devant ces entêtés, la forêt a reculé, le mil et le trèfle ont remplacé les pousses des arbres, les troupeaux paissent dans ces acres fertiles.
Mais il faut bien manger, et plusieurs de ces vaillants, en attendant que leur nouveau bien produise, se font mineurs le jour et deviennent agriculteurs le soir pour augmenter leurs maigres revenus et nourrir les bouches dont le nombre augmente chaque année!
Et puis, il y avait ces courageuses femmes qui ne ménageaient aucun sacrifice pour l’entretien de toute la maisonnée. Elles se livraient de tout leur cœur à leur épuisante besogne. Il fallait boulanger, raccommoder le linge, aménager et entretenir un jardin si l’on voulait manger l’hiver suivant. Leur plus digne tâche, leur plus grand mérite est d’avoir toujours tenu plus haut le moral des maris qui revenaient aux logis parfois découragés devant le peu d’enchantement que leur présentait l’avenir.
Mais armés spirituellement d’une foi intense et vivante dans la magnificence du Créateur, ils ont vaincu la forêt et réalisé leurs espoirs du tout début. La prière et l’amour leur ont permis de surmonter leurs inquiétudes et leurs découragements.
Ils sont venus et il y a maintenant trente ans! Ils ont vieilli à la tâche mais ils ont fondé une des plus belles paroisses de l’Ouest québécois.
Ils sont courbés et ce dur labeur a tanné et ridé la peau de leur visage, mais ces visages portent encore la marque de la fierté d’avoir coopéré à bâtir notre pays. Et leurs mains calleuses, elles méritent bien le droit de bénir.
Chapeaux bas devant ces pionniers.
Texte intégral du carnet « 1935-1965 Evain ».
Article paru dans le journal Ensemble pour bâtir, mars 2022.
Crédit photo : Diane Gaudet Bergeron.
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